Coin de cheminée chez Bernard Zehrfuss, couverture du numéro de Noël 1958 de la revue Maison Française
Petit rappel sur Pierre Bourdieu, ses "styles de vie" et son "choix du nécessaire" (à lire : Columbo et la lutte des classes) : l’utile est le luxe que l'on accorde aux pauvres. Une évidence dans cette période de fête et le rappeler peut permettre d'éviter certaines fautes de goût. Réservons l’inutile aux gens qui en ont les moyens ! Enfin, cet idéal franciscain n'est pas neuf et ne se limite pas aux instants festifs. Approchons plutôt les frontières morales du luxe inutile à travers cet article de Maison Française daté de Noël 1958. Depuis la "crise de 1955", les revues se sont éloignées du logement minimal et regardent désormais la maison de campagne, le mobilier international et l'antiquité, virage conservateur qu'illustre à la perfection le vieux moulin pittoresque tout meublé rustique où vit le ténor de l'opéra pas comique des grands ensembles : Bernard Zehrfuss (wiki). L'architecte inaugure alors le Palais de l'Unesco et dessine le Haut-du-Lièvre à Nancy. Ne soyons pas choqués ou étonnés par le contraste saisissant entre son cadre de vie et son oeuvre ; disons que sa demeure doit être une vitrine rassurante pour le commanditaire. Et puis la modernité y est présente, précisément dans d'inutiles œuvres d'art posées ça et là pour certifier la qualité du propriétaire, comme le mobile offert par Calder, l'aquarelle par Miró et les céramiques par Artigas, trois artistes qui collaborent à la réalisation du Palais de l’Unesco... Quant au texte accompagnant l'article, il est intitulé "les images de mon moulin" : outre un jeu de mots, le lecteur attentif peut y découvrir la signature de Ménie Grégoire, future célébrité de la radiodiffusion qui vulgarisera la psychanalyse et la sexologie dans les années 1960. Mais elle en est encore loin, ce qui permet de localiser une phrase "justificative" bien trop révélatrice, casée entre une citation de Bachelard et trois vers de Rilke : "On peut être architecte moderne sans détruire pour autant le passé : on peut aimer à la fois ce qui sera et ce qui a été". Dans tous les cas, pour lui-même, Zehrfuss va loin dans la préservation, conservant jusqu'aux cages à lapin sur le côté de son vieux moulin ! Rappelons que cette année-là, Marcel Carné abandonne ses portraits baroques et poétiques du peuple de France pour filmer "Les Tricheurs", chef-d'oeuvre souvent jugé réactionnaire. Mais la vraie question n'est pas là et semble être restée ouverte depuis lors : pour Noël, que veut-on, le Vieux-Moulin ou les cages à lapins ? Rien, la question est fausse et inutile.
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