Le tocsin sonne le 1er août 1914. Placardée le lendemain sur un mur de Reims, cette affiche suit le "désordre" provoqué par l'invasion du Grand-Duché et ce fameux "ordre" de mobilisation générale que l'on peut retrouver dans tous nos livres d'histoire. Le maire de Reims, Jean-Baptiste Langlet appelle au calme ses concitoyens. Cette photo semble dater d'hier... En réalité elle a presque un siècle et provient des collections extraordinaires du musée Albert-Kahn... Qui sait que les fameux "autochromes" de la Première Guerre mondiale s'étendent plus largement ? Et pourtant, ces photographies en couleur offrent une série d'images uniques au monde, par sa volonté de couvrir systématiquement le territoire en poursuivant la logique de la Mission héliographique. On découvre Reims immédiatement après les destructions, au tout début des années 1920. Un lieu de mémoire s'est imposé depuis l'incendie de la cathédrale relayé dans le monde entier. Les historiens réécrivent l'aventure du "joyau gothique", lui offrent la première place, font de "l'école de Reims" le point de départ de la sculpture médiévale et réinventent le "Sourire de Reims". La tête du fameux ange est tombée sous les bombes, mais la statue de Jeanne d'arc, elle, a résisté à l'ennemie et semble prête à en découdre. Pour indiquer le coupable, on place de chaque côté du portail occidental les canons de 77 allemands ! On sait aujourd'hui que les choses sont plus compliquées et, si la cathédrale est déjà un modèle pour Viollet-le-Duc, elle n'est pas le lieu d'invention du gothique... Peu importe la part d'exagération, les touristes arrivent en masse afin de visiter la "ville martyr" (Reims 14-18), aussi nombreux qu'à l'époque des sacres. Et les habitants installent déjà des baraquement pour que l'on puisse acheter des biscuits, des souvenirs, des bouteilles de champagne. Les grandes maisons multiplient les visites des caves, c'est souvent tout ce qu'il reste à voir et cela constituera une nouvelle attraction, très prisée sur ce chemin de pèlerinage emprunté par les familles de poilus.
Pendant ce temps là, partout dans la ville, des baraquements s'installent. Ce ne sont pas des logements, car la plupart des habitants se réimplantent hors de la ville, mais des commerces. On voit les ossatures se monter partout, parfois pour être remplies d'agglomérés (peut-être en mâchefer) ou de briques. Mais la plupart sont en bois et s'étendent dans les secteurs libres, qui ne doivent pas être reconstruits... Ce ne sont pas les baraques "Adrian" qui abritaient les poilus, suivant un récit que l'on trouve répété à l'infini sans qu'il soit contrôlé, mais la plupart sont bien en bois et offrent un paysage peu banal. On peu imaginer que les riches forêts de la région, des Ardennes et d'Argonne, ont fourni la matière première. Paul Marchandeau, maire de la ville à partir de 1925, se lasse déjà et dénonce ces constructions qui donnent à la ville "un aspect semblable aux cités du Transvaal ou du Colorado quand on découvre un filon" (cité par le journal l'Union, le 7 octobre 2016). Et ce n'est pas faux. Mieux encore, contrairement aux clichés du Far West, on dispose à Reims de très belles photos aux couleurs vives avec les devantures de boutiques. Inutile de revoir La ruée vers l'or, on y est ! On l'appelle la "Ville en bois" et elle est implantée sur les Promenades entre la Porte de Mars, la gare et le cirque. L'architecture semble singulière, minimale et fonctionnelle - sans aucun doute héritée des constructions traditionnelles qui entourent la forêt d'Argonne. Les dessins sur les façades et les intérieurs de boutiques nous replongent dans les Années folles. Le phénomène est étonnant, mais on dispose, grâce à ces autochromes, d'une ressource beaucoup plus riche et plus sensible sur la Première que sur la Deuxième Guerre mondiale, où le Noir et blanc domine. Il faut également bien mesurer le fait que la première reconstruction est mieux couverte par la propagande car les destructions sont celles de l'ennemie et les vainqueurs sont d'autant plus fiers de montrer les résultats. Pour la Seconde Guerre mondiale, la quasi-totalité des bombardements étaient alliés et il y existe une certaine gène a évoquer l'étendu des dégâts et la lenteur du redressement. Il faut à peine dix ans pour reconstruire Reims (1918-1928) et plus de vingt pour Le Havre (1945-1965)... Il ne s'agit pas seulement d'une affaire de budgets, il y existe une grande différence dans la perception, pleinement comparable aux politique de valorisation menées sur les sites de la victoire de Verdun et de la défaite du Chemin des Dames, le premier lieu que l'on va glorifier, et le second que l'on va s'acharner a effacer...
>> SEE MORE - VOIR L'ARTICLE >>